Chasse perdue

Zarog avait faim. Son ventre vide le pliait en deux. Voilà plusieurs jours déjà qu’il n’avait rien avaler.
Zarog était un tigre aux dents de sabre, habitant de la jungle Longleaf, la plus vaste étendue de nature du Royaume des Ciews. Son corps puissant devait engloutir plus de cinq kilos de viande par jour. Depuis son départ où il avait laissé sa femelle et ses quatre tigreaux, il n’avait rien chassé de consistant. La fatigue le gagnait petit à petit et la rage montait en lui. Des remontées amères venant de son estomac logeaient dans sa bouche et le faisaient saliver atrocement. Zarog était patient, mais sa patience avait des limites. Il se refusait pourtant à rentrer auprès de sa famille sans aucune nourriture : Ekki, sa femelle, le jetterait sûrement et il serait la risée de son clan.

Alors qu’il cheminait dans la jungle, attrapant de minuscules insectes, il entendit tout près de lui des rires et des bruits de sabots. Il se faufila à travers les branches et sa cacha derrière un arbre. C’est alors qu’il découvrit une procession de Ciews à cheval, les habitants de ce Royaume, un croisement entre Elfes et Indiens. Zarog les connaissait bien. En s’introduisant dans l’un de leur village à la recherche de nourriture, il avait reçu leurs flèches acérées qui lui avaient laissé une vilaine cicatrice sur le flanc gauche. En repensant à ce terrible soir, Zarog sentit la colère montée en lui : il allait se venger ! Cela tombait très bien puisqu’il avait faim. Il imaginait déjà le goût du sang Ciew dans sa gorge. Un rugissement le tira de sa rêverie : un lion géant escortait la procession. Il avait flairé Zarog. Le tigre prit en compte ce nouvel arrivant et révisa sa tactique. Il lui restait peu de temps et il devait faire vite. Lorsque les soldats Ciews, en premier, furent loin, il se jeta griffes dehors et gueule grande ouverte sur les villageois. Ses premiers coups de dents allèrent aux jarrets de quelques chevaux auxquels il arracha des morceaux de peau qu’il avala goulûment. Mais le festin viendrait plus tard. Il devait tuer au moins une dizaine de Ciews pour que le combat en vaille la peine.

Il s’apprêtait à défigurer une jeune femme lorsqu’il sentit de longues griffes s’abattre dans la chair de son dos. Un long rugissement sortit de sa gueule. Avec une rapidité déconcertante, il se retourna et empoigna le lion géant à la nuque : la femme était sauvée. Les Ciews s’écartèrent et laissèrent les deux bêtes se battre. Les soldats rattroupèrent le villageois derrière eux et attendirent.

Le lion était beaucoup plus fort que Zarog, mais le tigre avait l’avantage d’être plus léger et plus tactique. Il le meurtrit plusieurs fois à des endroits stratégiques, mais le lion ne semblait pas affecté par ces lourdes blessures. Zarog s’épuisa vite. Son dos et son museau étaient en sang. Sa vue se troublait petit à petit alors que le lion géant continuait de frapper. Le coup de grâce survint lorsque la bête mordit à pleine dent dans la jugulaire de Zarog. Le tigre s’affaissa d’un coup. Il haletait.

Zarog regardait l’herbe de la jungle se teintée de rouge. De rouge sang. Son sang ! Il avait dans la bouche ce goût qu’il avait tant cherché depuis des jours : le goût du sang frais et chaud.
« Mais ce n’est pas le bon », pensa-t-il en fermant les yeux.
Soudain il eut peur. Peur que le lion s’acharne sur sa carcasse et le dévore. Car il voulait que son corps reste propre jusqu’au bout, puis devienne poussière pour enfin se marier avec la terre. Faire partie de nouveau de la nature. Mais à son grand soulagement, la bête reprit son chemin à côté des Ciews et ne le toucha pas. Alors, Zarog mourut.

Au bout de plusieurs semaines, Ekki comprit d’elle-même ce qui c’était passé. Tout son clan lui rendit hommage et Ekki se promit de ne jamais prendre un autre époux et d’honorer à vie le père de ses enfants. Zarog avait gagné le respect des siens. Pas pour avoir rapporté de la nourriture, mais pour avoir tenté, encore une fois, de leur faire goûter à la chair des Ciews.

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La Sainte Pampelune

A la Sainte Pampelune, le taureau piétine,
Marche sur les dalles et glisse dans la boue.
A la Sainte Pampelune, le taureau gronde,
Et ondule ses cornes comme des bambous.

A la Sainte Pampelune, le taureau s’enfuit
Devant des minables qui courent devant lui.
A la Sainte Pampelune, le taureau vagit
Et demande que cesse la sauvagerie.

A la Sainte Pampelune, le taureau n’est rien,
Rien qu’un gros jouet que l’on peut casser.
A la Sainte Pampelune, ILS s’amusent bien
Mais l’animal lui, aimerait s’arrêter.

A la Sainte Pampelune, le taureau a soif
Et damne le soleil qui brûle sa peau.
A la Sainte Pampelune, le taureau a mal,
Mais personne n’entend sa triste complainte.

A la Sainte Pampelune, le taureau a peur
Et voudrait courir dans des champs dorés.
A la Sainte Pampelune, le taureau s’énerve
Et avec sa tête charge la mêlée.

A la Sainte Pampelune, le sol se teint
Du sang de la bête et celui des humains.
A la Sainte Pampelune, même la lune rougit,
De voir ces barbares taper dans leurs mains.

A la Sainte Pampelune, les médias sont là
Et chaque année filment, les mêmes combats.
A la Sainte Pampelune, certains se révoltent
Mais les cris de la foule couvrent leur voix.

A la Sainte Pampelune, le taureau est mort
Et les hommes heureux sont rentrés chez eux.
A la Sainte Pampelune, il y a des blessés
Et bien haut je pense : c’est bien fait pour eux.

La fête de Pampelune, pendant des années,
De pauvres taureaux, elle a massacré.
Mais les hommes stupides, encore pour longtemps,
Fêteront les bêtes qu’ils auront tuées.

Si on essayait, la fête de Pampelune sur les imbéciles
Qui crèvent la bête et la font plier,
On aurait sur Terre beaucoup moins de cons
Et on fêterait d’autres traditions.

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Derrière le rideau

La petite ballerine dans son long tutu blanc,
Ses cheveux blonds remontés en chignon,
Sur lequel une tiare était accrochée,
Attendait derrière le rideau de la scène.

Ses doigts fins s’agrippaient au rideau de velours
En entendant le public s’installer.
Sa famille attendait sa prestation :
Son cœur chaque seconde faisait des bonds.

La petite ballerine dans son long tutu blanc,
Ses cheveux blonds remontés en chignon,
Sur lequel une tiare était accrochée,
Attendait derrière le rideau de la scène.

Ses yeux cherchaient sa grande sœur, sa plus grande admiratrice.
Elle sentait les effluves des parfums,
Et entendait les frous-frous des belles robes.
Elle savait que ce soir, à l’Opéra, la salle serait complète.

La petite ballerine dans son long tutu blanc,
Ses cheveux blonds remontés en chignon,
Sur lequel une tiare était accrochée,
Attendait derrière le rideau de la scène.

Sans s’en rendre compte, elle travaillait ses pointes ;
Elle étendait ses bras et faisait des pirouettes
Avec élégance, avec grâce et finesse
Comme le lui avait appris son professeur.

La petite ballerine dans son long tutu blanc,
Ses cheveux blonds remontés en chignon,
Sur lequel une tiare était accrochée,
Attendait derrière le rideau de la scène.

La lumière dans la salle s’éteignit.
On s’arrêta de parler et de gesticuler.
Les petits rats se placèrent sur la scène :
La petite ballerine était l’héroïne.

Le rideau s’ouvrit et on applaudit.
La petite ballerine au premier rang vit,
Sa grande sœur, les yeux grands ouverts et le cœur ravi.
La petite ballerine soudain toute légère, se mit à danser.

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